dimanche 19 janvier 2014

Semaine 16 : Chilecito - Salta

Cette semaine, on rentre une fois de plus dans le dur du voyage ; le corps, les esprits et le matériel sont éprouvés. Les grandes étapes de 120 bornes se font de plus en plus rares et les paysages montagno-désertiques finissent par nous épuiser lors de ces 10 jours plein nord.  A cela s'ajoutent des petites tuiles qui se multiplient : casses, pertes, vols, pépins physiques et intestinaux ... Rassurez-vous, on s'est quand même sacrément bien régalés ! Moteur !



Après plus de 700km roulés depuis Chilecito, nous voilà une nouvelle fois aux portes du Chili, dans la grande ville argentine de Salta, Salta-la-Linda (Salta la Jolie) pour les intimes. Nous nous accordons quelques jours de repos bien mérités, avant de rataquer en début de semaine prochaine direction le Sud Lipez, la partie la plus désertique de la Bolivie, avec bien sûr, un joli col de plus au dessus des Andes ...



Reprenons où nous nous en étions arrêtés : le bivouac du Dakar. A l'inverse de tous les cyclos que nous rencontrons à Chilecito qui voient le Dakar comme une grosse tempête à fuir comme la peste, nous faisons tout notre possible pour en voir un maximum. On passe l'après midi à déambuler entre les stands "constructeurs" et "amateurs" où les mécanos démontent et remontent entièrment les véhicules tandis que les pilotes répondent aux questions pressantes des journalistes. L'ambiance y est bien que la tension soit palpable tant les enjeux pour les équipes sont grands. Nous passons pour d'étranges énergumènes et nos interlocuteurs affichent des mines perplexes lorsque l'on leur explique le comment-pourquoi de notre projet !



Le grand danger de ce genre de promenade est de mesurer une nouvelle fois à quel point le vélo est un moyen dérisoire de déplacement dans ces immenses contrées hostiles. On entend Vianney marmonner: "Vivent les moteurs, vivent les voitures, vivent les motos, vive la mobilette, vivent les camions, vivent les bus, vivent les quads, vivent les avions, vivent les calèches, vivent les dirigeables, vivent les bateaux, vive la vapeur, vive le pétrole, vive le nucléaire, vivent tous ces gros machins qui transpirent à notre place ! " Chacun se promet à lui même de revenir un jour en moto ou en 4x4. La vengeance est un plat qui se mange froid.




Après avoir fait face aux terribles glaciers des sommets Andins, la lutte contre les glaciers de Chilecito est un chouia plus facile . On applaudit au passage Quentin et son cornet 6 boules.



Pour notre premier jour de vélo après Chilecito, la carte nous fait un joli coup bas : la ville annoncée et que nous choisissons, bien sûr, comme halte pour la nuit n'existe tout simplement pas ... Nous voilà bien démunis et quasiment sans eau pour la soirée. On trouve finalement refuge derrière un gros rocher qui nous protègera du soleil  matinal assassin d'ici quelques heures. En attendant, l'option nuit à la belle semble s'imposer car il est 22h30, il fait nuit noire et la température n'est pas encore passée en dessous des trente degrés. Petite chronologie de ce qui suit :
22h00 : On déballe notre ravitaillement en nourriture pour ne pas se coucher le ventre vide. Heureusement, on a été un peu prévoyant.
22h13 : Les réserves d'eau sont proches du litre pour trois personnes.
22h27 : On étend les bâches pour se faire un lit douillet. "C'est incroyable, il n'y a aucun moustique par ici !"
23h34 : Alex sort l'antimoustique après s'être collé une centaine de claques.
00h47 : Les yeux grands ouverts, Quent jure tout haut, impossible de dormir."Oh le gros enf**** de Vianney, il ronfle !"
01h52 : Vianney, qui vient de faire un somme de 12 minutes craque et commence à monter une tente.
02h13 : Alex met de l'antimoustique pour la quinzième fois et s'autorise un quart de litre d'eau. "C'est quand on pense qu'on en a plus, qu'on commence à avoir très très soif...".
03h15 : Evidemment, personne ne dort, les conneries commencent à fuser. L'atmosphère se détend.
04h20 : Un vent violent emporte le sac de la tente, mais ca, on ne le sait pas encore. Toujours un peu plus de 35 degrés, et désormais moins de 25 cl dans la gourde. Il fait très soif. 
05h10 : Alex sort de la tente qu'il vient de monter pour sauver tout le campement qui commence à s'envoler sérieusement. Il revient 3 minutes plus tard des épines plein les pieds. Impossible de trouver des tongs taille 46 sur ce maudit continent. Il fait vraiment très soif. L'imagination s'emballe.
06h02 : il fait toujours 35 degrés.
06h53 : Le soleil se lève ! Ce qui signifie deux choses: on n'aura pas dormi plus d'une heure cette nuit mais on va pouvoir aller mendier de l'eau aux pick ups qui commencent à passer !!



Les vaches rythment notre route en ce début semaine. Celles-ci ont encore la chance d'être vivantes car beaucoup de leurs congénères mangent les cactus par la racine sur le bord de ces routes désertiques,  où l'unité entre deux villes se compte en centaine de km. On vous passera l'odeur de charogne qu'il peut parfois y avoir... On se demande bien à qui elles peuvent bien appartenir ! Toutes les vaches n'ont pas la chance de se trouver dans la luxuriante Pampa de la Ruta 7.



Une soir dans un village argentin comme nous en avons traversés des dizaines : le campement à peine planté, 5-6 petits curieux s'approchent. Au début, ça marmonne dans son coin, ça chuchotte tout doucement, et puis progressivement, au bord du feu de bois, les éclats de rire viennent se méler aux grands sourires ! ! Qué lindo ! 



To ride or not to ride, that is the question !




Grosse déconfiture ce matin pour l'eldorado à vélo ! Après une nuit dans le camping municipal d'un gros bled, de nombreuses pièces de notre petit matériel manquent à l'appel : 3 fourchettes, les pinces-manches des gamelles (très très utiles), notre unique couteau suisse (lourde perte), un couteau "Germinal" à très forte valeur sentimentale, deux illustres gourdes dont La German (cadeau de notre ami chilien German) et La Cuve ( 2L de contenance, un vrai chateau d'eau), un étui à gamelle et enfin deux casques de vélos made in Germany... En 20 secondes on dresse la liste du butin de nos voleurs tant nous connaissons notre matériel sur le bout des doigts ! Qu'il est rageant de se faire voler ces petites choses quand on voyage avec presque rien ! Voler des cyclotouristes ! C'est vraiment pas fair play. Mais qu'est ce qu'ils peuvent bien faire d'un étui à gamelle ? " Non mais Allô ?! " Difficile de faire le portait robot des malfaiteurs car s'ils avaient été cyclistes, bien d'autres petites merveilles auraient pu partir (pompes, e-werk). Il est tentant d'accuser d'autres campeurs mais que feraient-ils de casques de vélos ? En deux mots, une fois l'hypothèse de types saouls écartée, il ne reste que l'option du vol pur et simple à vue de revente. Là dessus, dans la même journée, le pneu arrière d'Alex commence à se déchirer, de même que son unique short (grosse session couture à la frontale, y compris pour le pneu !)  deux crevaisons lentes et la casse d'une attache rapide de roue arrière viennent noircir le tableau de ce dimanche noir. Ce que ce larcin nous aura coûté de plus cher, au delà de notre matériel est peut être notre tranquillité et la remise en cause de l'immunité cyclotouristique...!



Eh oui, qui dit été, dit saison des pluies ! On prend deux grosses draches sur le coin de la figure lors des précédents jours. Trois minutes plus tard, les "rio" (rivières) débordent. Rien de tel pour repeindre l'équipement rouge mat. Honnêtement, c'est toujours très amusant à traverser.



Plus les latitudes diminuent, plus le côté latino se fait sentir. On ne compte plus les villages pittoresques dont les rues ne sont que de simples pistes et que les larges lits des rivières, témoignant de la violence des crues, coupent en deux. Jeunes et moins jeunes métissés chiquent de la coca (ce qui les rend souvent imcompréhensibles) attablés autour d'un poste de radio datant de la guerre. Les vieilles Peugeot sont toujours plus vielles, de fiers cavaliers passent de temps à autres et les chiens dorment accablés de chaleur à l'ombre des kiosco (les mini épiciceries locales). Voici à quelques détails près, l'ambiance rurale du nord argentin. Il faudrait aussi évoquer les malheureux fruits des étales, les ballons d'eau (de pluie ?) sur les toits et les bicyclettes d'une autre époque qui nous rappellent le Maroc. Ce lundi, nous campons chez Jorge qui n'a plus qu'une paire de dents mais qui arrive tout de même à nous gratifier d'immenses sourires tout en nous apportant de la glace en bouteille, cadeau de bienvenu par ici où il fait si chaud.

"Ce qui me fait peur c'est de voir des champs si grands et de les voir tous revenir la bêche sur l'épaule !" Q. W.



"kilikili ! Ah ! Le beau petit lama, il est gentil le petit lama !
- Toi faire attention Señior...
- Et bien quoi ? Je ne vais pas me faire manger tout de même ? Hein dis mon brave petit lama, tu n'as pas peur du bon vieux capitaine Haddock ?

[...] Se passe ce qu'il doit se passer.

- Quand Lama fâché Señior, lui toujours faire ainsi !"



Grosse chaleur au pays des sommets de la crasse. Chaque semaine, il y a un moment où on tombe un peu plus bas que la semaine passée. C'est comme l'altitude, question d'accoutumance.



Le cuistot en chef. Les oignons tremblent lorsqu'il dégaine son opinel.



Après les vaches semi-sauvages, voilà les mulets ! Dodus et robustes, bienvenu dans la savane argentine !



De temps à autres, notre route se transforme subitement en un large chemin poussiéreux, où la vitesse à vélo dépasse péniblement les 15 km/h. Et pourtant, nous sommes bel et bien sur la légendaire Ruta 40, cet immense serpent qui longe les Andes sur plus de 5.000 bornes jusqu'en Patagonie !



C'est en sortant de la petite bourgade d'Amaicha del Valle, connue pour ces soit disant 360 jours d'ensoleillement par an,  que la pluie vient à notre rencontre. Vianney nous demande si nous sortons notre coupe-vent,  grande première depuis l'étape entre Cluny et Lyon ! La saison des pluies commence !



Quelques mots sur les empanadas, ces délicieux chaussons fourrés au fromage ou à la viande, spécialités de l'Argentine et plus précisément du nord argentin. Jamais ô grand jamais elles n'ont failli à leur difficile tâche lorsque, après une très rude journée, nous leurs avons fait appel pour rassasier 3 sportifs en mal de petites chateries.



Les étapes ne sont guère palpitantes à l'approche de Cafayate contrairement à ce qu'on nous avait dit. En même temps, ce n'était que les recommendations d'un brave type complètement rôti à la tequila. Heureusement, les décors changent radicalement une fois que nous dépassons la ville, sorte de woodstock des backpackers soit dit en passant. Si Cafayate draine tant de monde c'est que la Quebrada de las Conchas, un peu plus au nord, est très célèbre.



Nous pédalons ainsi dans 50 km de cayon aux parois rougeâtres plus magnifiques les unes que les autres. Les étrangetés ne manquent pas au bord de la route: Obélisque, crapeau, arche naturel, la nature a beaucoup d'imagination ! Petit bémol à cette belle étape, Vianney fait une rechute d'indigestion-insolation-mystérieuse infection parasitaire. C'est à 20% de son potentiel et sous alternativement un soleil de plomb et une pluie battante qu'il peine à avaller les 80 km obligatoires de montagnes russes jusqu'au prochain et unique bled du coin. On lui tire notre chapeau car il n'a vraiment pas la mine des grands jours !



Nième photo de famille !



L'ultime fantaisie minérale que nous croisons le long de cette vallée est un cirque de pierre,  où nous trouvons refuge pour la sieste post-prendiale quotidienne. Nous nous laissons envoûter par ce cadre enchanteur avant de se faire réveiller par un indien venu profiter de l'acoustique pour jouer de la flûte de Pan et du Ukulélé. Au bout de 3 heures, il est grand temps de partir !



Lui, le bel homme en culotte courte, c'est Philippe. Uluberlu-spléologue-marathonien-géologue-banquier tout droit sorti du Médoc, à l'accent chantant et ne parlant pas un mot d'espagnol ni d'anglais est très très très soulagé de pouvoir nous raconter sa vie dans le "bon français" (dixit lui-même) ! On l'aurait bien invité à dîner avec monsieur Brochant ... !



Les abords de Salta nous surprennent. "Tu verras, on mangera du sable jusqu'en Bolivie", comme on disait à Chilecito. Que nenni ! Au fur et à mesure de notre avancée dans le nord, les plaines verdissent,  la vigne réapparaît. Les Andes se couvrent d'arbres et l'horizon se dégage pour faire place à de larges champs de tabac. L'architecture devient aussi de plus en plus typique avec de grandes fincas (propriétés) aux arches blanches,  digne des meilleurs épisodes de Zorro. Nous plongeons à travers le temps jusqu'à revenir à l'époque de la colonisation espagnole !



Vous l'aurez reconnu, le Pharaon de Merzouga est de retour ! La campagne, c'est magnifique ! Les vignes ont enfin remplacé la poussière du désert ! La chaleur, elle, est en revanche toujours bien là ... 



Enfin, Salta-la-Linda ! Chilecito-Salta, vous avez sans doute entendu ces deux noms de villes sur France 2 cette semaine car c'était deux étapes pour le Dakar, parcourue en 2 jours pour les participants. Ça nous a pris 10 jours, mais sans équipe technique.



Nous voici finalement à l'affreux mais typique camping-club-vacances de Salta. Après 10 jours à manger de la poussière, on n'est vraiment pas exigeant en matière d'hébergement. Objectif : se remettre d'aplomb en essayant de faire abstraction de la musique - bien grasse comme une empanada - que crachent les autoradios du millier de voitures présent dans le "camping". Heureusement, on fait la rencontre de deux cyclos australiens venus de Colombie, qui nous font rêver pour la suite du voyage ! 

Hasta Luego !